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اطلس نيوز
N° 71, Mai 2024 /// ISSN 2110-5464
À l'occasion du congrès mondial de cette industrie, qui se tient à Paris, Jérôme Ferrier, président de l'Union internationale du gaz (UIG), a répondu aux questions de "Jeune Afrique" sur les défis gaziers qui touchent particulièrement le continent.
Le Congrès mondial du gaz s’est ouvert ce 1er juin 2015 au Parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. Sous la houlette de Jérôme Ferrier, président de l’Union internationale du gaz (UIG), plus de 3 500 professionnels du secteur – dont quelques 130 Africains – se rencontrent pour échanger : modalités de production d’électricité à partir de gaz, fabrication de Gaz naturel liquéfié (GNL), questions environnementales et logistiques, évolution des marchés, modèles économiques les plus pertinents… autant de sujets qui seront particulièrement discutés cette année.
Le Français, qui rend son tablier à la fin de la manifestation, a répondu à nos questions sur les défis gaziers qui touchent particulièrement le continent. C’est l’Américain David Carroll, du Gaz Technical Institute de Chicago qui prendra sa suite à la fin du congrès le 5 juin.
Que peut-on attendre d’un évènement comme le Congrès mondial du gaz ?
C’est la « famille » gazière qui se réunit. Il ne s’agit pas d’une manifestation de lobbying – d’ailleurs, il y aura peu de représentants politiques -, mais plutôt d’un lieu d’échange entre des experts issus des entreprises du secteur – notamment des plus grandes comme Total, Chevron ou Engie (Ex GDF Suez) – et institutions du secteur, issus de 91 pays. Le gaz est une partie de la solution pour une planète durable, il s’agit de réfléchir ensemble, de partager les meilleures pratiques. C’est d’ailleurs la raison de la présence de Laurent Fabius, qui sera présent non pas comme ministre français des Affaires étrangères, mais en tant que président la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de Paris (COP 21), prévue du 30 novembre au 11 décembre 2015.
Quels sont les participants africains les plus impliqués ?
Depuis mon arrivée à la tête de l’Union internationale du gaz en 2011, le nombre de pays africains membres a augmenté : le Maroc, la Côte d’Ivoire et la Guinée Equatoriale sont venus s’ajouter à l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, le Cameroun, le Nigeria, l’Angola et le Mozambique. La plupart d’entre eux détiennent des réserves gazières, mais certains ne sont que consommateurs.
Chaque pays membre envoie des délégués -issus des ministères, institutions et entreprises – au Congrès mondial du gaz. Les plus gros contingents viendront des deux producteurs africains de gaz les plus importants actuellement : le Nigeria et l’Algérie, avec, pour cette dernière, des représentants de la Sonatrach, très impliquée pour cette édition de Paris. Mon seul regret est toutefois de n’avoir pas pu encore convaincre deux pays au potentiel gazier majeur : le Congo-Brazzaville, que je connais bien pour avoir y avoir travaillé pour Total, ainsi que le Gabon.
Que peut apporter une organisation comme la vôtre aux pays africains ?
Des compétences pour définir les meilleures modalités pour un projet gazier ! Et en particulier pour l’utilisation du gaz pour la production locale d’électricité. Les premiers projets africains ont mis énormément de temps à voir le jour : celui de Boni, au Nigeria, dans lequel j’ai été impliqué pour Total, a mis 14 ans avant d’entrer en production… Au Nigeria, mais aussi au Mozambique ou au Cameroun, la plupart des projets gaziers africains sont uniquement tournés vers l’exportation. Or il est difficile voire impossible de changer en cours de projet la destination du gaz, définis avec les bailleurs de fonds et investisseurs. L’UIG veut aider avec son expertise à développer l’électrification grâce au gaz, en partenariat avec le programme « énergies renouvelables pour tous » mené par Kamde Yumkela, représentant spécial des Nations Unies, en association avec la Banque mondiale.
La conjoncture actuelle permet-elle l’avancée de tels projets en Afrique ?
La chute drastique des cours du pétrole a eu un impact sur les prix du gaz, ce qui a ralenti voir gelé les projets en cours de développement, notamment au Mozambique, malgré son immense potentiel. Mais nous apportons notre expertise sur des projets en Afrique de l’Est – en Tanzanie, au Kenya et l’Ouganda – définis dès le départ pour qu’une partie du gaz serve à la production d’électricité locale.
L’exploitation de gaz de schiste – dits non conventionnels – fait polémique en Algérie. Qu’en pensez-vous ?
L’Algérie – comme la plupart des grands pays producteurs de gaz comme la Russie – reste assez évasive sur sa stratégie gazière de long terme, notamment sur ses besoins intérieurs pour l’électrification. Le pays met en avant ses réserves non-conventionnelles notamment pour montrer sa capacité à tenir ses objectifs d’augmentation de ses exportations gazières vers l’Europe qui sont censées doubler sur la période 2005-2030, atteignant 115 milliards de mètres cubes par an.
Les experts de l’UIG, notamment les Américains, qui ont le plus d’expérience en la matière, peuvent bien sûr l’épauler dans ce domaine, en particulier sur les questions environnementales. Sans juger du bien ou mal-fondé des projets gaziers algériens non-conventionnels, pour les développer, il faudra prendre en compte de nombreux paramètres : la taille des réserves, non divulguée à ce jour, l’acquisition de nouvelles compétences techniques, la disponibilité en eau et, bien sûr, les relations avec les communautés locales et la sécurité dans le Sahara. L’Algérie n’est pas l’Amérique… À chacun son développement gazier…
Christophe Le Bec
par Meryem Saadi
Smyet bak ?
Euh, je ne sais plus, attendez, je l’ai au bout de la langue …
Smyet mok ?
Ah ça non plus ça ne vient pas, donnez moi quelques minutes…
Nimirou d’la carte ?
C’était quelque chose … Je ne m’en rappelle plus du tout. D’ailleurs on vient de me dire que je dois faire une nouvelle, la biométrique. J’ai encore l’ancienne, énorme et plastifiée.
Vous avez parfois la nostalgie du Maroc ?
Non, parce que je n’ai pas le sentiment de l’avoir quitté. J’ai encore de la famille à Casablanca, et des amis d’enfance, avec qui je suis toujours en contact. Et je me suis fait construire une villa avec piscine à Marrakech, mon rêve d’enfant (rires) ! J’y viens dès que je peux. Et croyez-le ou pas, c’est là-bas que je suis le plus inspiré pour écrire.
ça vous arrive d’aller faire un tour incognito dans les quartiers où vous avez grandi à Casa ?
Oui j’adore ça ! Je mets des lunettes de soleil et une casquette et le tour est joué, je peux me balader tranquillement. J’aime beaucoup marcher, me perdre, et observer les gens. Mais ce qui me fait toujours autant halluciner, c’est la folie de la circulation. Casa, c’est la seule ville au monde où ce sont les piétons qui doivent mettre une ceinture de sécurité (rires).
Vous trouvez qu’il y a une différence entre le public marocain et français ?
Bien sûr. Ils ne rigolent pas toujours aux mêmes blagues. Mais j’adore jouer au Maroc, on m’accueille avec énormément d’amour et d’affection. Lors de mes dernières représentations, j’avais l’impression d’être Mick Jagger ! ça me mets également beaucoup plus de pression que n’importe où dans le monde. C’est comme jouer devant sa propre famille.
En décembre dernier, vous avez été élu 2ème personnalité préférée des Français. ça vous a fait quoi ?
J’étais très content. Par contre ma mère a râlé parce que je n’étais pas le premier ! Je plaisante, mes parents étaient très fiers. Personnellement, je suis toujours heureux quand je reçois des récompenses, surtout quand elles viennent directement du public. ça te pousse à aller plus loin.
Il paraît que vous êtes fan du groupe Nass El Ghiwane ?
Oui, et la mort de Paco il y a quelques mois m’a beaucoup touché. Je les ai vraiment découverts à travers le documentaire Transes de Martin Scorsese. Ils étaient vraiment dans un délire particulier, à la fois spirituel et surréaliste. Ils ont une histoire fascinante, on dirait qu’ils ont vécu dans un autre temps, dans un autre Maroc.
Vous écoutez d’autres artistes marocains ?
Quelques-uns. Je suis toujours curieux de découvrir les artistes qui font le buzz. Par exemple, ces derniers temps, j’écoute un peu Don Bigg. C’est vraiment intéressant ce qu’il fait. J’aime bien aussi Hoba Hoba Spirit, leur côté créatif et ludique. Sans oublier Oum, qui a une voix superbe. Je lui avais proposé un jour de faire ma première partie, mais on s’est perdus de vue.
En 2012, vous avez cartonné dans votre rôle de footballeur dans Les seigneurs. Vous aimez le foot ?
Pas spécialement. Les Marocains m’ont toujours demandé pour quel club j’étais, alors un jour j’ai décidé arbitrairement que c’était le Wydad. Il fallait trancher (rires). Sûrement parce que le nom de ce club m’inspirait plus que celui du FUS ou du Kawkab. Mais j’emmène souvent mon fils au stade, c’est un grand supporter de Lyon.
Votre fils aime-t-il votre sens de l’humour ?
Pas toujours. Ce qui est génial, c’est qu’il me dit quand il n’aime pas l’une de mes blagues. C’est pour cela qu’il assiste souvent à mes spectacles. C’est le seul qui me dit la vérité en face (rires). Mais il me donne également confiance en moi quand il apprécie ce que je fais. On a toujours besoin des proches pour nous rassurer.
Votre père est l’une de vos grandes sources d’inspiration. Il vous donne également son avis ?
Il a un regard très critique, mais il n’a pas trop le sens de l’humour. Ça, je le tiens plutôt de ma mère. Mais tout comme elle, mon père n’arrive pas toujours à trouver les mots pour me rassurer, même s’il veut le faire. D’ailleurs c’est une particularité très marocaine. On ne sait pas formuler verbalement ce que l’on ressent.
Vous trouvez ?
Absolument. Chez nous, les gens sont très connectés entre eux, mais pas par le verbal, plutôt par l’émotif et l’affect. Par exemple, on dit souvent que quelqu’un est “ka3i”, mais on ne sait jamais vraiment pourquoi. On n’explique jamais les raisons, parce qu’on ne sait pas les formuler. C’est un véritable problème.
Vous pensez quoi des humoristes marocains ?
J’adore Hassan El Fad et Hanane El Fadili, ils sont à mourir de rire. Mais en ce moment, celui qui m’épate c’est Miz. C’est devenu mon petit frère, je ne le lâche plus (rires). Je me retrouve dans ce qu’il fait, parce que comme moi, il est dans le stand-up.
Vous êtes vraiment pote avec Jamel Debbouze dans la vie de tous les jours ?
Oui, on est vraiment proches, et cela depuis plus de 20 ans. A l’époque on était jeunes et inconnus, et on venait d’atterrir à Paris. On se donnait rendez-vous pour écrire des sketchs et on se demandait comment on allait faire pour percer. J’espère vraiment qu’un jour on fera un vrai projet ensemble.
Vous êtes devenu une figure incontournable du cinéma français. Vous suivez un peu le cinéma marocain ?
Bien sûr. Dernièrement, j’ai vu Les chevaux de Dieu de Nabil Ayouch. Un film fort et courageux, qui m’a vraiment bouleversé. Ayouch a une réflexion intelligente, il cherche plus à poser des questions qu’à trouver des réponses. En tant que gamin de Casa, ce film m’a fait particulièrement mal au cœur. C’est vrai que je n’ai jamais vécu dans la misère, mais les destins des enfants casablancais me préoccupent vraiment. C’est d’ailleurs pour cela que je suis impliqué avec SOS village d’enfants, qui essaie de les protéger au maximum.
On dit que vous êtes quelqu’un de très stressé et anxieux. C’est vrai ?
Honnêtement, je suis beaucoup moins angoissé que par le passé, j’ai fait beaucoup de travail sur moi. J’ai appris à relativiser avec l’âge. Mais bon, je suis quand même d’un tempérament anxieux, je ne suis pas le mec le plus relax de la terre.
Vos spectacles sont un véritable message de tolérance religieuse. La montée en France de l’antisémitisme et de l’islamophobie, ça vous touche ?
Je suis conscient de ce phénomène, et cela me préoccupe beaucoup. Je pense sincèrement que les personnes qui crachent sur un mec en kippa ou sur une femme voilée sont ignorantes. Les campagnes antiracisme, les manifestations, c’est bien, mais c’est à l’école où tout se joue. Il faut commencer à apprendre aux enfants l’histoire des peuples, pas juste celle de leur pays.
Antécédents
1971. Naissance à Casablanca.
1988. Quitte le Maroc pour aller étudier à Montréal.
1997. Présente son premier spectacle en solo, Décalages.
2000. Naissance de son fils Noé.
2011. Obtient un rôle dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne de Steven Spielberg.
par Hamid Barrada
Élu à la tête de l'Istiqlal malgré une succession verrouillée par la famille El Fassi, cet ancien tourneur au verbe haut invite tous les partis à se doter d'une direction forte pour assumer les responsabilités conférées par la nouvelle Constitution.
L'élection de Hamid Chabat à la tête de l'Istiqlal le 23 septembre est un événement majeur dont on ne tardera pas à constater les multiples retombées. La succession d'Abbas El Fassi était verrouillée. Après trois mandats et quatorze années, le secrétaire général avait choisi le Dr Abdelouahed El Fassi, le fils d'Allal El Fassi, fondateur du parti. Sa filiation valait programme et destin, et avait en outre la vertu d'inhiber toute vocation rivale. Ainsi, un Karim Ghellab avait toutes les qualités pour briguer le poste : la cinquantaine, lauréat d'une grande école, ministre efficace, disposant d'un fief électoral populaire. Mais dès que le nom du fils a été avancé, le président de la chambre a rengainé son éventuelle candidature. Hamid Chabat, lui, ignore ce genre d'inhibition.
Né le 17 août 1953 du côté de Taza, il gagne Fès après le brevet pour fréquenter une école professionnelle. Diplôme de tourneur en poche, il travaille à la Société des industries mécaniques et électriques de Fès (Simef), dirigée par un colonel. Ici, il n'est pas question de fonder un syndicat. Hamid Chabat le fait et crée une section de l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), proche de l'Istiqlal. En 1981, il est secrétaire général de la section, puis de l'ensemble de la centrale. En décembre 1990, il est à la tête des manifestations qui tournent à l'émeute et provoquent l'intervention de l'armée avec à la clé tueries et destructions. Driss Basri, le ministre de l'Intérieur, l'accuse « d'avoir incendié Fès ». Le syndicaliste doit passer à la clandestinité. On s'en prend à sa femme, Fatima Tarik, future députée, et à son fils âgé de 10 ans. Sorti de l'ombre un an après, il cherche refuge dans le suffrage universel. Député de Fès en 1997, maire en 2003.
Au fil des luttes, le syndicaliste s'est forgé une personnalité ou plutôt un personnage hors du commun. Chabat est d'abord une grande gueule qui ne craint rien ni personne. Excellent orateur, il aime le baroud et n'est pas, paraît-il, regardant sur les moyens. À l'en croire, pas moins de 66 dossiers ont été montés pour l'abattre, dont la plupart ont été classés. Sur une affiche électorale, il avait inscrit sous son portrait un verset du Coran : « Nous avons exalté ta renommée. » La citation a un parfum de blasphème puisqu'il s'agit du Prophète. « Et alors ? Le Prophète était analphabète, et moi aussi ! »
Dans son bureau, sous le portrait d’Allal El Fassi, fondateur de l’Istiqlal, le 6 octobre, à Rabat.
En tant que maire, il avait à prendre une décision délicate touchant au projet banal d'élargissement d'une avenue. L'opération supposait la destruction d'un mur du Palais. Il revenait au wali d'adresser la demande au cabinet royal. Pas fou, le haut fonctionnaire refuse. Le maire le fait et obtient une réponse positive.
Péripétie de la bataille pour la direction de l'Istiqlal. Depuis toujours, le parti nationaliste, champion de l'arabisation à tous crins, est gêné par la question amazigh. Le Dr El Fassi a fait des déclarations chichiteuses qui reflètent cette gêne historique. Chabat a clos le débat en publiant son programme à la fois en arabe et en berbère.
À propos de la victoire de Chabat, Tawfiq Bouachrine écrit dans Akhbar Al-Youm : « Voici venu le temps du populisme. » On assiste en effet à une sorte d'exode rural avec de nouvelles élites envahissant les chasses gardées de la politique. Il faudrait désormais s'habituer à un langage moins policé, à des méthodes plus directes et peut-être à un surcroît de sincérité et d'authenticité.
Avec Chabat, Abdelilah Benkirane, le président du gouvernement, aura un partenaire incommode. Rival ou allié ? Dieu seul le sait. Ils ont plus d'un trait en commun, en particulier un certain goût pour le show politique, ce qui risque d'exacerber leurs inévitables frictions.
La chabatisation devrait atteindre l'Union socialiste des forces populaires (USFP), qui va renouveler sa direction en décembre. Un homme qui a un profil comparable, comme Driss Lachgar, a le vent en poupe. Ces changements concomitants au sommet vont-ils favoriser la résurrection de la Koutla ? Enfin, le Parti Authenticité et Modernité (PAM) apparaît comme le principal perdant de la nouvelle donne. La recomposition attendue du paysage politique se fait sans lui, et personne ne parle plus de son rêve d'être demain l'alternative à la coalition autour du Parti de la justice et du développement (PJD).
Et le roi dans tout ça ? Il se tient résolument à l'écart des remous au sein de l'Istiqlal. Les prérogatives d'arbitre suprême, conférées par la Constitution, lui conviennent parfaitement. Elles donnent au moindre de ses gestes un surcroît de retentissement et d'autorité. En qualifiant Hamid Chabat de « militant de proximité », il a adoubé son itinéraire prolétarien et au passage son combat contre les lointains nantis. Tout cela sans s'en mêler. L'intéressé était comblé.
Jeune Afrique : La désignation d'un nouveau leader de l'Istiqlal a intéressé, voire passionné les Marocains...
Hamid Chabat : Ce n'est pas étonnant. Au-delà du choix démocratique du secrétaire général, c'est la démocratie elle-même qui était en jeu. Pour la première fois dans son histoire, le plus vieux parti du Maroc donnait l'occasion à ses militants de choisir eux-mêmes leur chef. Or, après le Printemps arabe et ses répercussions dans le royaume, la démocratie est désormais devenue l'affaire de tous. La nouvelle Constitution donne au gouvernement et à son chef ainsi qu'au Parlement des responsabilités étendues, lesquelles accroissent par voie de conséquence le rôle des partis. Dans son discours du 9 mars 2011, le roi a fait ce qu'il avait à faire. Depuis, la balle est dans le camp des partis. C'est clair : la réforme des institutions passe par la réforme des partis.
Vous avez appelé à un « printemps istiqlalien »...
C'est une manière de dire « dégage ! » à ceux qui voulaient diriger l'Istiqlal comme Ben Ali ou Moubarak dirigeaient leurs pays respectifs. À l'Istiqlal, la démocratie interne commence par le mode de désignation du secrétaire général. Depuis la disparition de son fondateur, Allal El Fassi, en 1974, le choix du leader se faisait par consensus au sommet, en dehors de toute concurrence. Pour Abbas El Fassi, secrétaire général depuis 1998, le choix se limitait à la famille El Fassi. Neveu et gendre d'Allal El Fassi, il ne se voyait pas d'autre successeur que le propre fils du fondateur de l'Istiqlal, le Dr Abdelouahed El Fassi. En me portant simplement candidat au poste de secrétaire général, j'ai provoqué un séisme et bouleversé ces calculs d'un autre âge.
Le roi a fait ce qu’il avait à faire dans son discours du 9 mars 2011. Depuis, la balle est dans le camp des partis.
Comment a été présentée la candidature du Dr El Fassi ?
C'est Nizar Baraka [gendre d'Abbas El Fassi et actuel ministre des Finances, NDLR] qui a été chargé de cette tâche. Il fait partie d'une cellule plus ou moins informelle appelée « G10 ». Elle regroupe d'anciens ministres tels que Karim Ghellab [président de la Chambre des représentants], Adil Douiri, Yasmina Baddou, Tawfik Hjira... et il lui revient de réfléchir sur le programme. C'est au cours d'une réunion du « G10 », au début de 2011, que Nizar Baraka a déclaré que la succession du secrétaire général avait été tranchée. La famille El Fassi, révélait-il, s'était réunie et avait décidé de confier le parti au fils d'Allal El Fassi, le Dr Abdelouahed. Adil Douiri a aussitôt réagi en s'opposant à l'initiative.
Et les autres ?
Ils étaient gênés. Personne n'osait s'opposer à la candidature du fils.
Comment avez-vous réagi ?
D'abord, je n'en savais rien, je ne l'ai appris que plus tard. Mais depuis trois mois je plaide pour le changement au sein du parti, lequel a besoin de sang neuf. J'ai expliqué que le maintien du même type de direction familiale n'était plus acceptable. En évoquant les mauvais exemples tunisien et égyptien, j'ai soutenu qu'un tel procédé pour la sélection des dirigeants était chargé de périls non seulement pour le parti mais aussi pour le pays lui-même.
En mars, j'ai décidé de poser le problème devant le « G10 », mais je n'ai fait que provoquer une grande gêne. À l'évidence, les jeux étaient faits. Toutes les portes étaient closes.
Quel était l'état d'esprit dans le parti ?
La majorité voulait le changement, car le blocage était au sommet. Au mois de juin, nous devions procéder à la tenue des congrès régionaux pour l'élection du Conseil national, qui désigne le comité exécutif et le secrétaire général. Le Conseil est composé de 996 membres, dont 450 sont élus par les congrès régionaux, les autres y siégeant ès qualités : ce sont les inspecteurs [permanents, fonctionnaires rétribués, au nombre de 80 environ], les parlementaires, les représentants des associations professionnelles ou d'organisations parallèles (femmes, jeunes...). Deux semaines avant le congrès [du 29 juin au 1er juillet], la presse a parlé de la candidature de Hamid Chabat. Il n'en fallait pas plus pour qu'Abbas El Fassi convoque le Comité exécutif. « Les candidatures, déclara-t-il, doivent être déposées devant le congrès. Aucune ne sera recevable avant la tenue de celui-ci. » J'ai tout de suite réagi en lui rappelant que le Dr Abdelouahed El Fassi était candidat depuis huit mois ! J'ai ajouté : « Je suis donc officiellement candidat au poste de secrétaire général de l'Istiqlal et je demande solennellement au comité exécutif d'en prendre acte. » Nous étions le 23 juin 2012. Tout était dit, et la séance a été levée. La veille du congrès s'est tenu un conclave autrement plus important réunissant les représentants de la famille.
Qui ?
Abbas El Fassi, bien sûr, Nizar Baraka, Abdelouahed El Fassi, Hani, frère de celui-ci, Samira Qoraich, la femme de Hani, Abdelmajid, le fils d'Abbas... et c'est au cours de cette réunion que la direction du parti a été arrêtée pour des lustres et dans l'ordre suivant, chacun des héritiers bénéficiant de deux mandats : 2012, Abdelouahed El Fassi ; 2020, Nizar Baraka ; 2028, Abdelmajid El Fassi. Le cycle se termine par Allal, fils d'Abdelouahed et petit-fils du fondateur de l'Istiqlal. D'Allal à Allal, la boucle est bouclée.
C'est une plaisanterie ?
Détrompez-vous. Ces gens-là vivent dans un autre monde.
La campagne électorale a été rude...
La veille du congrès, j'ai tenu une conférence de presse à l'hôtel Farah, à Rabat, pour présenter les grandes lignes de mon programme. D'emblée, les enjeux étaient clairs : « le candidat du peuple contre le candidat de la famille. »
J'imagine que les interventions n'ont pas manqué pour vous faire renoncer...
En effet, elles se sont multipliées et elles provenaient souvent de personnalités respectables. Et j'ai dû raconter, la veille du congrès, que j'avais fait un rêve, ou plutôt eu une vision : c'est Sidi Allal El Fassi qui me visitait en plein sommeil, à l'aube. « J'ai fondé, me dit-il, un parti pour le peuple marocain et voilà qu'aujourd'hui mon fils veut en faire un parti pour la famille, contre ma volonté. Je te demande à toi, Hamid Chabat, fils du peuple, de sauver le parti et de le ramener à sa vocation initiale. »
Vous avez fait le rêve, oui ou non ?
Disons que je l'ai imaginé ! En tout cas, il a suffi que je le raconte à un alim [« savant »] de mes amis pour que cessent les pressions en faveur de mon retrait.
Vous ne l'avez emporté que par vingt voix...
Le vote est secret mais il n'est pas difficile de supposer que les membres du Conseil national, élus par les congrès régionaux, ou encore les parlementaires ont massivement voté pour Hamid Chabat. Un savant féru de numérologie est parvenu au même résultat par d'autres calculs [voir l'encadré ci-contre].
C'était écrit dans les chiffres
Sa victoire, Hamid Chabat s'est persuadé qu'il la doit à une volonté mystérieuse d'essence divine. Il en a eu la « preuve » fournie par un savant féru de numérologie. Ce dernier est venu le trouver à l'issue d'un meeting pour lui soumettre l'équation suivante : en multipliant le nombre des votants (936) par 23 (23 septembre, le jour du vote), puis en divisant la somme obtenue par 9 (septembre), puis par 5 (mai, le mois de la fête du travail), on obtient 478. Exactement le nombre de voix recueillies par le leader syndicaliste. Il y croit dur comme fer et a effectué lui-même l'exercice. À coup sûr, Hamid Chabat est un homme complexe qui sacrifie à l'occasion aux sciences occultes. C'est bon à savoir. H.B.
Quelles sont les conséquences de votre arrivée à la tête de l'Istiqlal ?
Tous les partis vont vouloir se doter d'une direction forte pour assumer les responsabilités conférées par la Constitution, et ils pourront y parvenir dès lors qu'ils en auront la volonté. Ce qu'a fait Hamid Chabat à l'Istiqlal, d'autres peuvent le faire.
En somme il faut des Chabat partout ?
Oui, absolument.
Diriez-vous que le rapport des forces entre le PJD [Parti de la justice et du développement] et l'Istiqlal a changé au sein du gouvernement Benkirane ?
On parlait du gouvernement PJD. Désormais, ce sont le PJD et l'Istiqlal qui sont aux commandes.
Vous allez demander un remaniement ?
Après l'adoption de la loi de finances, certainement au début de l'année prochaine. Avec l'Istiqlal, le PJD a désormais affaire à une direction forte qui doit se refléter sur la représentation du parti au gouvernement.
Il y aura des changements de ministres ?
C'est sûr.
Aux Finances ?
On devrait mettre fin à une anomalie. Le département est doté de deux têtes : Nizar Baraka, ministre des Finances, et Driss El Azami, ministre du Budget. Le premier est Istiqlal, le second PJD. Ça ne doit pas durer. Il y va de la bonne marche du ministère.
Que faut-il changer d'autre ?
Il faut profiter du remaniement pour accroître la représentation des femmes [limitée à une seule actuellement] par le nombre et l'importance des ministères qui leur seront confiés. Même raisonnement pour les personnalités issues de nos provinces du Sud.
Je vais demander un remaniement après l’adoption de la loi de finances, certainement au début de 2013.
Vous souhaitez la reconstitution de la Koutla (qui comprenait l'Istiqlal, l'USFP [Union socialiste des forces populaires] et le PPS [Parti du progrès et du socialisme]).
Ma proposition s'adresse d'abord aux socialistes, et j'ai bon espoir qu'elle sera bien accueillie. Dans la lettre de félicitations qu'il m'a adressée, Abdelouahed Radi, le premier secrétaire, a souhaité « poursuivre les relations historiques entre le parti de l'Istiqlal et l'USFP ».
Ce sont des propos de circonstance...
Pour moi, c'est un engagement.
Vous pensez vraiment que les socialistes accepteront de reconstituer la Koutla ?
C'est ainsi que j'ai interprété la lettre de leur premier secrétaire. Ils savent que le Maroc a besoin de la Koutla aujourd'hui, comme dans les moments cruciaux de son histoire. En tout cas, ils prendront leur décision lors de leur congrès, en décembre.
Vont-ils élire à leur tête un autre Chabat ?
Driss Lachgar est bien placé, mais en vous le disant je risque de ne pas lui faciliter la tâche...
Pour ce profil, il y a aussi Abdelhadi Khairate, qui a déclenché la polémique avec le prince Moulay Hicham. Il ne vient qu'en troisième position. Qu'en est-il du PAM [Parti Authenticité et Modernité] ?
Tous les partis seront touchés par la vague de démocratie interne. Mais le PAM a besoin d'une bonne décennie pour devenir un parti normal.
Dès votre élection, vous avez appelé à la formation d'un gouvernement d'union nationale : jusqu'où iront ses frontières ?
L'union nationale concerne les partis qui ont des racines populaires et existent en dehors de l'administration. Ils sont connus : Istiqlal, USFP, PJD, MP [Mouvement populaire], PPS. Le PAM n'est donc pas concerné.
Dans sa lettre de félicitations, le roi a évoqué à votre sujet le « militant de proximité »...
J'y ai vu une bénédiction de la part de Sa Majesté, qui a parfaitement saisi mon itinéraire de fils du peuple et le sens de mon combat.
Quels sont vos rapports avec Fouad Ali El Himma ?
Je l'ai combattu durement lorsqu'il dirigeait en sous-main le PAM, lequel s'inspirait alors du Rassemblement constitutionnel démocratique tunisien [RCD] et risquait de mettre en péril le multipartisme, que je considère comme notre première richesse politique. Aujourd'hui, El Himma est conseiller du roi, et il n'y a pas de raison pour que nos relations ne soient pas normales.
Lors de l’entretien avec notre collaborateur, au siège du parti, le 6 octobre, à Rabat.
Et avec Abdelilah Benkirane ?
Nous n'avons pas le même parcours. Lui vient de la Chabiba Islamiya, qui évoluait en marge de la légalité, et il a dû apprendre à agir à l'intérieur des institutions et dans le respect de la loi. Moi, j'ai fait mes premiers pas dans la lutte syndicale et j'ai grimpé les différents échelons de la responsabilité, aussi bien à l'UGTM qu'à l'Istiqlal, dans la transparence et la démocratie. À la tête de la mairie de Fès depuis 2003, j'ai acquis une expérience précieuse, en particulier dans la gestion des questions économiques. Tenez, puisqu'au Maroc on aime bien imiter ce qui se fait en France, on devrait également confier les affaires du gouvernement à des hommes qui ont fait leurs preuves à l'échelon local [allusion au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ex-maire de Nantes].
Vous souhaitez succéder à Benkirane à la tête du gouvernement ?
Les élections sont prévues pour 2016, nous nous y préparons tous les jours et nous ferons tout pour les gagner. Mais je vous rappelle que c'est le roi qui désigne le chef du gouvernement. Je ne suis pas candidat pour le moment.
En fin de compte, à qui devez-vous votre victoire sur la famille El Fassi ?
À la volonté divine ! Outre la détermination de voix que j'ai obtenue par des calculs mystérieux [lire l'encadré ci-dessus], je vais vous raconter un autre fait qui m'a beaucoup troublé. Au cours d'un meeting où j'avais présenté mon programme, j'avais précisé que celui-ci se déclinait en dix-neuf points. À l'issue de la réunion, un vénérable fqih est venu me voir pour me dire que ce chiffre avait un caractère divin qui m'offrirait la victoire. Et de me citer des versets coraniques qui possèdent la même vertu et qui comportent précisément dix-neuf lettres... Vous savez, nous ne savons pas tout, et la volonté divine s'exerce au-delà de ce que nous savons.